Un torii, comme s’appelle ce restaurant-ci, est ce très beau portail traditionnel japonais que l’on voit un peu partout au pays du Soleil-Levant. Le Torii qui nous intéresse aujourd’hui est un portail lavallois, une étrangeté, une délicieuse étrangeté.
Les lecteurs me demandent souvent de suggérer des endroits dignes d’intérêt sur la rive nord. J’en connais peu, et les petite et grande couronnes semblent parfois de grands déserts pour qui cherche des tables dignes de mention. Je cherche beaucoup et, trouvant peu, me fie parfois aux recommandations de mes amis gastronomes locaux.
J’ai le grand plaisir d’avoir comme ami un garnement quinquagénaire qui réside à Laval. « Simon, où peut-on bien manger dans ta belle municipalité ? » Rendez-vous fut pris pour un mardi soir pluvieux annonciateur de changement de saison. « J’ai invité Robert [une autre fine fourchette, voisin du premier et tout aussi polisson], on se retrouve chez Torii à 19 h. J’apporterai de quoi nous réhydrater. »
Torii se trouve sur le boulevard Le Carrefour entre le boulevard Le Corbusier et la voie de service de l’autoroute des Laurentides, destination exotique s’il en est. Pour s’y rendre, on croise des enseignes luxueuses et d’immenses magasins qui semblent indiquer que la récession n’a pas frappé Laval. Tant de VUS et de grosses berlines allemandes rassurent sur la non-austérité locale.
Le restaurant se cache dans un minicentre commercial assez anonyme, et tant que l’on n’a pas poussé la porte, on craint un peu de s’être fourvoyé. Une fois le seuil franchi, en revanche, tout change. La salle est élégante, avec beaucoup de boiseries, de très beaux volumes et de superbes appliques lumineuses d’un rouge impérial sorties de l’imagination de Richard Morin et Claude Choinière, créateurs d’objets d’art décoratifs. On entre ici dans une autre dimension et ce portail augure bien.
Le menu de Torii propose les habituels sushis, sashimis et autres makis, toutes choses inspirées de la cuisine japonaise qui, certes, sont préparées avec attention, mais sans pour autant faire vibrer le kimono. La chose à préférer — ou du moins que je vous suggère vivement d’essayer — est de permettre au chef Vu Huy de laisser libre cours à son imagination.
Le soir de notre passage, où j’étais incognito, les deux galopins étant des vedettes locales, M. Phat Nguyen, le propriétaire, nous servit huit plats sans fautes. La commande était claire : poissons et fruits de mer autant que possible.
En ouverture du feu d’artifice, quelques minipieuvres très tendres, servies en une tempura peut-être un peu croustillante, et accompagnées d’une salade très rafraîchissante et fort à propos, un mélange d’algues, de mangue et de concombre.
Suivit un « saumon cajun » : de belles lamelles de saumon grillé et subtilement épicé, de longues tranches fines de poireau frit et de concombre, le tout relevé d’une mayonnaise forte en gingembre. La soirée s’annonçait belle.
Monsieur Nguyen déposa un petit saladier très chic dans lequel pétillaient de jolies bouchées de thon grillé, enluminées de tronçons d’asperges vertes à peine blanchies et de quelques champignons shimejis (ou, selon moi, enokis) sautés.
Un autre grand bol arriva, offrande de morue noire d’Alaska marinée au saké et miso, grillée et servie sur lit de vermicelles de riz avec un filet de sauce teriyaki. Puis vint une belle assiette de pétoncles en tout petits cubes avec une sauce à base de lime et de citron, accompagnés d’une salsa de tomate, concombre et échalote.
Voulant impressionner les deux vedettes ou simplement pour leur faire plaisir, M. Nguyen apporta ensuite trois plats, créations du chef, devant être mis au menu sous peu. Les deux premiers étaient savoureux, le troisième carrément à se rouler par terre : donc, en troisième position, trois huîtres fraîches, gratinées et accompagnées d’oursin et de mayonnaise japonaise ; en seconde place, de petits sandwichs dans lesquels des tranches de pétoncle enlaçaient voluptueusement une mousse de foie gras, le tout décoré de perles de balsamique et d’une succulente petite salade d’agrumes en centre de plat.
Le troisième, qui nous laissa extatiques, était un assemblage de pâtes à l’encre de seiche, renforcé d’une jouissive sauce aux crabes d’Alaska et à l’oursin, aillée juste ce qu’il faut et dans laquelle on percevait une pointe d’huile d’olive. Présentées en un grand cylindre monté à l’emporte-pièce, les pâtes partageaient l’assiette avec une patte de crabe coupée dans sa longueur et dans laquelle le chef avait déposé de généreuses bouchées de chair dudit crustacé.
Ne voulant pas finir sur une note moins éblouissante et ayant consulté le menu, nous choisîmes de ne pas prendre de desserts. Le fait d’être repu aide souvent à avoir l’air sage.